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Les Chroniques

Nous avons déjà évoqué la disproportion entre la masse des « grands opérateurs » de l’édition et les autres, à savoir les indépendants, qu’ils soient éditeurs, libraires, distributeurs ou diffuseurs. L’économie d’échelle des premiers ôte toute chance aux seconds de rentrer dans une saine compétition, laquelle passe par l’intérêt du consommateur d’abord. Le client fait très bien le tri : pour le même « produit », il peut obtenir un prix net sans frais de port d’un côté et avec des frais de port qui rendent le livre de 20 à 40 % plus cher à l’unité de l’autre. Le client n’est pas bête… Par ailleurs, comme un certain nombre de services est lié au prix hors taxes – mais pas le transport – difficile d’intégrer ces frais sans influencer tout le modèle économique du livre. Par exemple, les droits d’auteur sont calculés sur le prix de vente hors taxes de l’ouvrage. Si on intégrait le coût du transport dans le prix de base du livre inscrit sur sa couverture, il faudrait diminuer proportionnellement le pourcentage de droits d’auteur, par exemple. Bon, tout cela est un peu technique et barbant ; ce qu’il fait retenir c’est que les indépendants ont aussi créé des outils mais ces outils ne sont pas unifiés et leur dispersion empêche une vision claire et efficace des circuits de distribution. L’indépendance coûte ainsi de la marge et appauvrit systématiquement. A l’instar des artistes, les indépendants sont-ils destinés à courir après leur survie ? En tous cas, ce n’est pas en multipliant les organismes, les commissions, les associations, les syndicats ou les symposiums que l’union finira par faire la force ! C’est en créant des règles s’appliquant avec justice et simplicité à tous qu’on pourra empêcher l’inégalité flagrante entre ceux qui peuvent user d’une logistique centralisée ainsi qu’un volume de chiffres d’affaires pour équilibrer leurs comptes, et ceux qui ne le peuvent assurément pas.

Les artistes créent, la plupart du temps, seuls dans leur atelier, devant leur feuille blanche ou leur salle de répétition, par exemple. Ils testent leurs idées, leurs capacités et tentent de repousser leurs limites. Certains parviennent ensuite à montrer leur travail et/ou leur talent mais d’autres pas. Combien d’entre-eux, incapables de défendre leur performance ou leur œuvre, les rangent, les empilent ou les oublient plutôt que d’avoir à les présenter à un public ? Cette peur incontournable, ce trac sournois les empêche évidemment de se faire connaître et, incidemment, de monnayer leur savoir-faire. Cela tient de l’agoraphobie, cette peur des grands espaces, des lieux où la foule peut s’agglutiner et, essentiellement, d’être observé et jugé. Un artiste doute toujours des avis d’autrui, que ce soient les flagorneries ou les vacheries. Bien sûr, il accepte les approbations mais même lorsqu’on paie pour son talent, y compris fort cher, il ignore la portée de ce succès matériel et la pense, naturellement, éphémère. Serait-il capable de poursuivre sa quête sans cette incertitude, sans cette frayeur sourde ? Pourquoi nombre d’entre-eux vivent chichement ? Car le prix de la liberté se trouve, croient-ils, dans un relatif dénuement matériel. On pourrait même se poser la question de savoir si, à partir du moment où un grand succès commercial est atteint, le statut d’artiste ne se dilue pas dans l’argent. Tout d’abord lorsqu’il canalise un créateur dans un axe où il ne fournit plus que ce que le public apprécie. Ces aspects, le pseudo agoraphobe les esquive d’emblée. Il fuit la foule de peur d’avoir à la suivre ou à en être tributaire, se satisfaisant d’un succès d’estime, discret et durable. Et tant pis pour les commerçants !

Dans une librairie, la plupart du temps, le jeu du chat et de la souris entre le chaland – venu pour tout autre chose comme la biographie d’un coureur de VTT, un cadeau pour un ado, un essai sur les millionnaires et le monde de la presse, le dernier livre de x, les mangas manquants de y ou, simplement, une promenade entre les rayons pour être tenté – et un auteur vivant, bien présent à côté de sa pile de livres, comporte sa panoplie de nuances. Qui de jeter un regard du coin de l’œil pour tenter de lire le titre après avoir observé subrepticement l’allure du signataire. Qui d’affronter ce dernier directement avec des questions abruptes et, insatisfait ou poker face, repartir pensif. Qui, ayant lu l’ouvrage, de s’installer durablement pour en faire le panégyrique à la cantonade obligeant tout autre à patienter. Qui de contourner l’obstacle au large pour éviter tout contact visuel. Qui de ressortir de l’établissement trop émotif pour une quelconque rencontre. Et, heureusement, qui d’assez curieux et aventurier pour s’offrir une surprise pour soi ou pour un proche. La population des librairies, une caste étrange aux goûts polymorphes et aux tempéraments variés.

L’ultime séance se termine toujours par un goût mi-figue mi-raisin mixant une sensation d’adieux avec une autre de futures retrouvailles, jamais vraiment impossibles.

D’après nos têtes pensantes et les statisticiens, 43% des français ne lisent que pendant leurs périodes de congés. Et, globalement, on avalera environ 2,6 livres pendant ce temps. Comment choisit-on ses œuvres ? Recommandations de proches, médias, libraires, page de couverture ou titre attirants, suivi d’un auteur, nouveauté, etc. Rien de très rationnel ni irrationnel donc. Cela souligne qu’en temps ordinaire, les gens sont trop stressés pour se plonger dans un livre. Petit paradoxe car la lecture, même si elle demande une certaine concentration, diminue le stress, apaise et, bien sûr, divertit. La détente, l’évasion et le développement personnel devraient être une quête permanente mais la vie « moderne » tend à nous faire croire que consacrer du temps à cette activité serait une perte de temps. Évidement, rien de plus faux ! Sauf si on considère que développer l’imaginaire, l’empathie et l’ouverture d’esprit est stérile, tout comme apprendre… Bonne lecture à tous, en vacances ou pas 😉

Nous avons eu entre les mains l’ouvrage de Jean-Yves Léopold intitulé « Le vortex de minuit ». Comme le stipule la quatrième de couverture « une histoire improbable, intrigante, lancinante, balançant entre romance amicale et mélancolie, et où le mystérieux le dispute au genre fantastique ».

En tous cas, il s’agit d’une plongée en poésie romanesque où perdre pied – en abandonnant corps et esprit aux courants généreux que ce si humaniste extraterrestre pulse en arabesques inattendues – fait un bien fou. Nous nageons dans la quintessence de la création littéraire : emporter le lecteur vers un ailleurs merveilleux – et parfois inquiétant – pour nous abandonner sur une rive que nous croyions connaître et que nous avons charge de redécouvrir.

Cette rencontre étrange a été déclenchée par curiosité, tout d’abord. Une pile de livres neufs posée sur un comptoir de restaurant et – surprise ! – offert aux curieux de passage « contre bons soins ». Cela attire toujours les esprits disponibles. Dans ces circonstances, la gratuité fait un peu peur car elle est souvent l’apanage des marchands de rêves – religieux ou pas – et des marchands tout court, prêts à toutes les ruses pour attirer le chaland. Après lecture, il n’en est rien ; vraiment un cadeau, ni bouteille à la mer, ni hameçonnage, ni subterfuge, et qui donne envie, effectivement, de renvoyer de « bons soins » à son auteur.

Vous ne trouverez probablement nulle part cet opus car hors circuits ordinaires. Ce court livre vit sa vie au hasard et selon le souhait probable de son auteur de le voir échapper à la mondialisation mercantile, et à l’attention de ceux qui croient à un monde meilleur, ces quelques extraterrestres téléportés ici pour un fragment d’éternité. Merci pour cet ovni et sa discrète, magnifique et inestimable plus value de cœur.

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